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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

J’avais complétement oublié le pâté.

Un revirement subit s’opéra parmi nos ennemis ; il y eut une longue conversation avec le maître, et l’hôtesse s’avança, vers nous pour nous demander poliment si nous désirions nos chambres.

« Nullement, répliquai-je, nous désirons partir. La carte, s’il vous plaît. »

Avec un machiavélisme bien digne d’une femme, la respectable matrone nous demanda, par hasard, s’il nous serait agréable de goûter un morceau du gigantesque pâté, mis à part dans l’armoire pour le déjeuner du lendemain.

J’hésitai, et cependant j’allais répondre non ; mais un regard de Fritz, regard plein d’un mélancolique regret, changea le monosyllabe sur ma lèvre, et je dis oui.

Le pâté parut triomphant. Après une courte action de grâces, très-courte en vérité, un premier quartier disparut. Dieu et nos lecteurs savent ce qu’il était devenu.

Mais à peine avais-je déposé la fourchette, que l’hôtesse, levant les yeux au ciel :

« Ils en ont mangé ! dit-elle.

— Ils en ont mangé ! dit le mari.

— Ils en ont mangé ! dit la fille.

— Ils en ont mangé ! exclama en chœur l’étrange assemblée.

— Nous en avons mangé ! répétai-je, étrangement surpris de leur surprise panique.

— Serait-il empoisonné ? » murmura Fritz en pâlissant.

Je dus pâlir aussi : je n’oserais cependant l’affirmer, tant la supposition me parut improbable. Un mot de la femme fit tomber ma terreur.

« Oh ! dit-elle en battant des mains, ils en ont mangé, ils ne pourront rien dire.