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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

Le mot pâté réveilla d’ailleurs toute notre colère, et nous prîmes une contenance impassible.

En ce moment, l’aubergiste et sa femme se levèrent pour fermer les volets.

Minuit sonnait.

Je vis distinctement Fritz trembler, et, comme il est possesseur d’un nez fort sensible, cet organe s’agita avec une volubilité véritablement surprenante chez tout autre mortel : chez Fritz, c’est l’indice d’une émotion violente.

Fritz tenait le coin du mur, et par conséquent pouvait fixer ses yeux sur toute la salle que, assis en face de lui, je ne voyais qu’imparfaitement. Sans doute cet aspect n’avait rien de rassurant, car Fritz se pencha vers moi et me dit à l’oreille :

« Je crois qu’on va nous assassiner. »

Cette communication était tellement importante, que je m’abstins de preuves pour frissonner.

« Avons-nous des armes ? » murmurai-je tout bas, si bas que l’éclat des volets, frappant sur la boutique, étouffa mes paroles et ne permit pas même à Fritz de les entendre.

Sa réponse était d’ailleurs inutile, et je savais d’avance que Fritz et moi nous étions trop fervents observateurs des lois de notre pays pour avoir en notre possession le plus léger instrument de défense. Le droit d’être massacré sans opposition est l’un des plus chers aux peuples civilisés, et nous avions acquis ce droit par trop de révolutions, pour ne pas en user dans toutes les circonstances de notre vie aventureuse.

La situation était critique ; tous les regards s’enflammaient de courroux ; nulle bouche ne s’ouvrait pour demander une explication ; déjà deux hommes, armés de bâtons noueux, s’étaient postés devant la porte, sans doute pour empêcher notre sortie ; enfin, il ne nous restait plus, à Fritz et à moi,