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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

posés à la rétablir dans son premier état. Il est malheureusement trop tard, car les premiers ouvriers sont morts, et le modèle est perdu.

Cette considération me saute toujours à la tête, toutes les fois que l’idée me vient de parcourir un village. Les petites choses reflètent les grandes. L’homme, qui se vante de posséder la terre, et pour qui cette dernière ballotte dans l’espace, en anéantit les beautés par sa présence. Là où il y avait une forêt, il élève quatre grands murs blancs, que le soleil vient frapper, au grand détriment des vues faibles. Il déracine un arbre pour planter des choux ; il fait sauter des montagnes, et tend sur le terrain quatre ou cinq barres de fer d’une régularité parfaite. Une grande machine résonnante roule avec un fracas ridicule, sur le chemin où galopait le cheval, cette admirable bête à la crinière soyeuse, au cou gracieux, à l’encolure élégante. Il n’est pas jusqu’à lui-même qu’il n’enlaidisse à plaisir, en couvrant sa nudité sublime de vêtements étriqués et noirs comme sa conscience. Une île est inconnue ; semblable à une vierge, elle déploie des richesses ingénues et des trésors multipliés. Jetez-y l’homme, et ce stupide amant, à force de l’étreindre, lui fera perdre ses fraiches couleurs, et rendra méprisables les faveurs de sa ceinture.

Le tout pour vivre, dit-on.

Pour vivre !

Je voudrais bien savoir en quoi et pourquoi c’est une nécessité de vivre.

La plupart des gens qui font des infamies, des sottises, ou qui contrarient leurs goûts, ou qui éteignent leurs passions, et qui ne savent que dire pour se justifier, vous répondent : il faut vivre.

Dites-moi donc, je vous prie, sur quelle base est placé ce principe erroné.