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avez promis. Vous le debvez faire aussy, et ne debvez rien craindre en cela, puisque luy-mesme y a si librement exposé sa vie. Je m’asseure que l’amour que luy avez portée vous excitera tousjours à en rendre tesmoignage aprés sa mort, par l’obeissance et execution de sa volonté. Mais encores y ay-je bien voulu apporter ceste priere, avec asseurance que je les en recognoistray tousjours mieux par ceste marque, et me rendray plus disposé à ce qui sera de leur bien. Sur ceste promesse, je prieray Dieu vous avoir, Madame de Bethune, en sa tres saincte et digne garde. De la Rochelle, ce premier de janvier 1587.

Vostre affectionné et meilleur amy,


HENRY.


[1587. — vers le 10 janvier.]

Orig. autographe. — Collection de M. F. Feuillet de Conches.


À MONSR DE St GENYES


Monsr de Sainct Genyes, Je viens presentement de recevoir vos lettres, lorsqu’Esprit estoit desjà depesché ; de sorte que je ne vous feray que ce mot, pour vous dire qu’ayant envoyé de Reau avec La Roche, pour me plaindre de la publication de la treve qui avoit esté faicte à Niort, Poictiers et Orleans avec precipitation, et sans qu’elle eust esté arrestée entre la Royne et moy[1], la dicte dame a depesché les sieurs de Rambouillet et de Pontcarré pour venir resoudre avec moy l’entreveue ou la rompre[2]. Je ne les ay encores entierement oys.

  1. Le seul résultat qu’avait eu la conférence tenue à Saint-Bris, au mois de décembre précédent, entre le roi de Navarre et la reine mère, avait été l’accord d’une courte trêve jusqu’au 6 janvier. Catherine de Médicis paraît s’être hâtée de la publier pour semer des germes de défiance contre son gendre dans le parti protestant.
  2. Non-seulement la première partie de la conférence de Saint-Bris n’avait abouti à rien ; mais l’échange de quelques mots piquants semblait plutôt y avoir aigri les esprits. « Quant aux dernieres conferences, dit d’Aubigné, la Roine, qui lui avoit parlé de changer de religion comme par bien-seance, commença (en excusant les Lorrains sur les justes craintes de voir la couronne entre les mains d’un heretique) à presser sur le fait de la religion, sans le changement de laquelle son gendre ne pouvoit esperer ni amitié avec le Roi ni avec l’Estat, lequel il troubloit, ni paix ni sureté à sa vie et à ses conditions. Sa response fut : « Madame, le respect du Roi et « ses commandemens m’ont fait demeurer foible, et donner aux ennemis, avec la force, l’audace, qui est la fievre de l’Estat. Vostre accusation est comme celle du loup à l’agneau ; car mes ennemis boivent à la source des grandeurs. Vous ne me pouvez accuser que de trop de fidelité ; mais moi je me puis plaindre de vostre memoire qui a fait tort à vostre a foi.» Et comme elle repliqua sur la necessité de changer de religion, « Comment, dit-il, aiant tant d’entendement, estes-vous venue de si loin pour me proposer une chose tant detestée, et de laquelle je ne puis deliberer avec conscience et honneur que par un legitime concile, auquel nous nous soumectrons moi et les miens ? ». Alors elle paia de la bonne grace du Roi : et comme quelques-uns des siens l’ameutoient, le duc de Nevers osa dire : « Sire, vous seriez mieux à faire la cour au Roi qu’au maire de la Rochelle, où vous n’avez pas le credit d’imposer un sou en vos necessitez.» La response fut : « Nous n’entendons rien aux impositions, car il n’y a pas un Italien parmi nous. Je fai à la Rochelle ce que je veux, en n’y voulant que ce que je doi.» (Hist. univ. t. III, liv. I, chap. VI.) Par ces dernières conférences dont parle D’Aubigné, il faut entendre les dernières auxquelles assista le roi de Navarre, au mois de décembre. Pierre Mathieu, dans son Histoire des troubles de France, s’accorde avec d’Aubigné sur les réponses que fit en cette circonstance le roi de Navarre ; seulement il n’attribue au duc de Nevers que la remarque sur les impôts, et il met dans la bouche de Catherine de Médicis l’observation relative au maire de la Rochelle. Le duc de Nevers, dans le compte qu’il rendit lui-même à Henri III de cette conversation, la présente ainsi à sa manière : « Je luy dis : « Mais enfin, Sire, vous n’estes le chef des huguenots qu’en apparence. Vostre authorité est dependante du conseil de la Rochelle, et vous ne sçauriez lever un denier que par ses ordres. » Il me respondit agreablement sur cet article, et me dit : « Ne parlons point de mon pouvoir, il est tel que je veux qu’il soit. Parlons de faire la paix. » Cette lettre du duc de Nevers au Roi n’est pas d’un ton à inspirer une entière confiance, mais elle présente bien les manières naturelles, du roi de Navarre : « Tel que vous avez veu ce prince, Sire, tel il est aujourd’huy. Les années ny les embarras ne le changent point. Il est tousjours agreable, tousjours enjoué et tousjours passionné, à ce qu’il m’a cent fois juré, pour la paix et pour le service de Vostre Majesté. Il m’a dit, de l’abondance de son cœur, qu’il voudroit avoir assez de forces pour vous deffaire en un jour de tous les autheurs de la Ligue, sans vous obliger mesme à y donner vostre consentement. Il vous témoigneroit combien vostre repos luy est cher, combien vostre gloire le touche, et combien il souhaite de vous voir aussi puissant et aussi bien obey que vous le meritez. Il m’a fait l’honneur de me conjurer de vous en assurer de sa part… Il m’a protesté que… s’il estoit tout seul interessé dans l’accomodement que la Reine mere luy propose, et qu’il n’y allast que de toute sa fortune, il n’y apporteroit pas la moindre difficulté ; qu’il la supplieroit de luy donner une place dans son coche pour aller trouver des demain Vostre Majesté, sans aucune condition, et sans aucune autre seureté que celle de son innocence. » (Mémoires de Nevers, t. 1er , p. 767 et suiv. Paris, 1665, in-fol.)