Page:Henri IV - Lettres Missives - Tome1.djvu/173

Cette page a été validée par deux contributeurs.

loisir de respirer, precipitée en nouveaux troubles et discordes civiles par ceulx qui, pour servir à leurs passions couvertes de divers pretextes, remplissent au dehors les oreilles des princes estrangiers de plusieurs calumnies contre moy, et au dedans nourrissent une perpetuelle guerre et division entre nous, pensans ne pouvoir s’establir et asseurer leur fortune que par la continuation de nos dissensions civiles ; auxquels pour mon debvoir, et pour l’obligation naturelle et notable interest que j’ay au bien et conservation de la France, où je tiens le troisiesme lieu, degré et honneur, et laquelle ne se peut remettre et maintenir que par la paix et repos public, je me suis de tout mon pouvoir opposé. Et par ce, Monsieur, que nos guerres civiles importent à toute la Chrestienté, et particulierement aux princes voisins, tant parce qu’il est impossible que leurs pays et dominations ne s’en ressentent, que aussy pour l’entrée que nous donnons par la porte de nos divisions aux ennemys communs des plus grands princes de la Chrestienté (entre lesquels vous estes le plus interessé, et contre lesquels ennemys, au lieu d’employer nos forces communes, nous les convertissons contre nous, et aucuns mesmes continuent de plus en plus avec eux leurs anciennes intelligences et conspirations secretes, de sorte que nous n’avons pires ennemys de nous que nous mesmes) ; il m’a semblé ne devoir, Monsieur, differer davantage à faire sur ce entendre à Vostre Majesté plusieurs particularitez concernans le bien de la Chrestienté, et mesmes de vos pays et estats et de cedit Royaume, ensemble mon interest particulier, m’asseurant que vostre prudence en sçaura bien juger l’importance pardessus tous aultres, et la mettre en bonne considération ; comme j’ay donné charge au sr du Bourg[1], conseiller du Roy mon seigneur, superintendant et general pour le dict seigneur es pays et mers de Levant, vous deduire plus ample-

  1. L’auteur de la vie de Mornay, en parlant d’une lettre écrite par Mornay à du Bourg, peut mettre sur la voie du motif secret qui faisait envoyer ce personnage au roi d’Espagne, comme porteur de cette lettre : « Henry de Mont-morancy, sieur de Danville, gouverneur de Languedoc, associé du Roy de Navarre, bien que de contraire religion, ne fit point difficultés de luy addresser un nommé Du Bourg, plusieurs fois employé au Levant par nos Rois, qui se faisoit fort de faire venir le Turc à Aiguesmortes, pourveu que la retraicte luy en fust asseurée ; que sa terreur rappelleroit sans doute nos espritz à la paix domestique, et feroit que le Pape et le Roy d’Espagne s’en rendroient solliciteurs pour ne l’avoir si voisin. » (Vie de M. du Plessis, l. Ier.) Du Bourg put donc être envoyé en Espagne pour sonder le terrain de ce côté, avant qu’on eût rien décidé sur son projet. La vie de Mornay nous en apprend l’issue : « Mais encore qu’il n’y eust faute de gens ni de raisons pour accepter ceste negociation, le Roy de Navarre s’en rapporta à M. de la Nouë et à M. du Plessis, qui en remonstrerent les inconvéniens. »