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PŒUF.

Mon père avait déjeuné, conduisait Barrateau jusqu’au cimetière.

Et on m’avertit que, si on me laissait mon costume des dimanches, c’était pour faire une visite chez l’ordonnateur.

Les visites, en général, ne me souriaient guère, et je le témoignais ; mais celle-ci, chez cet ordonnateur, haut gradé du commissariat de la marine, bonhomme, père d’une fille à peu près de mon âge… de Marie ! avait de tout temps eu le don de m’épanouir.

Je déjeunai donc avec appétit ; nous mangeâmes de la barbadine au dessert, de la barbadine sucrée au kirsch, — je l’aimais beaucoup ; — et, après avoir été rôder par la cuisine, — il ne s’agissait plus de Pœuf ! — après avoir longuement gratté l’occiput d’un sapajou que je chérissais ; après avoir exaspéré un ara, un gros ara bleu et jaune, dans notre cour, je me trouvai heureux de bientôt revoir Marie.

Vers les trois heures, nos siestes achevées, d’un large perron où je m’empressais de sonner, un nègre, gileté de rouge, ne tardait pas à nous conduire, ma mère et moi, sur une véranda. La famille de l’ordonnateur y était réunie. La grand’mère, profil de macaque, une étonnamment vieille créole, desséchée, ridée, coiffée en madras d’un foulard crème, le menton et le nez tiquetés de pois chiches, au large dans un peignoir