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pœuf.

Et clic ! l’ânesse prenait le galop. Pœuf s’élançait après nous ; je l’entendais jurer, cracher de la poussière ; — mais vite il se fatiguait, perdait haleine, et, à mon intime joie, commençait de clamer : « Arrêtez ! arrêtez !… Vous… savez, m’sieur André… qu’on vous défend… de galoper… Je m’plaindrai au colonel… je m’plaindrai ! »

Pœuf se plaignant de mes actes, — brave Pœuf ! — c’eût été la fin du monde !

Malgré sa mansuétude pourtant, et peut-être à cause de sa mansuétude, de quelles farces ne l’avais-je point abreuvé ? farces bêtes, farces presque journalières.

Et je fus mal satisfait de moi, là, une minute, sur ce lit où de vibrantes contemplations m’émoustillaient sans gestes. Il était bien temps !


Souvent, à l’heure où on lui apportait la soupe, sur un des bancs du Champ-d’Arbaud, devant le jardinet de notre habitation, j’accourais lui tenir compagnie. Il sortait un mouchoir et une cuillère de sa poche, — mouchoir jaune ou rose, cuillère de fer battu, — déposait un mince paquet de sel à sa portée, ouvrait son couteau, — un large couteau à manche de corne cerclée de cuivre, — l’effilait contre sa paume, l’essayait au dossier du banc, se calait, levait le couvercle de