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pœuf.

Et je fus très fier de moi, de la verdeur de mes souvenirs, si fier que, mon excès d’orgueil s’amalgamant à mes contrariétés, je sombrai aussitôt en un attendrissement radical, attendrissement qui me poussa de nouveaux pleurs aux cils et me cloua tout alangui sur ma couchette. Ce pauvre Pœuf !… Dans quel désespoir il devait être !… C’est pour le coup qu’il pouvait dire adieu à ses galons de caporal-sapeur !… On les lui avait bien promis, cependant, — dès qu’il saurait lire !

Je me reportai à l’époque où je l’avais aperçu pour la première fois, sur un banc, à notre porte, près de quatre années auparavant, le lendemain de notre arrivée à la Guadeloupe. Il était en petite tenue, avec son coupe-choux, sa baïonnette au côté… sa baïonnette ! une cravate lâche autour du cou, des godillots comme des glaces, un chapeau de paille ceint d’un ruban noir, chapeau de colonial, et, la barbe striée de soleil, sa large face jaunie par les climats torrides : au Sénégal, en Cochinchine, à la Guyane, de suite il s’était pris à rire en me voyant.

— Comment t’appelles-tu ? lui avais-je demandé.

— Pœuf.

— Pœuf ?… Allons donc !

— Si, si… Pœuf.

— Quel drôle de nom !