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PŒUF.

s’abattre à ma portée ; il repartit en criaillant : puis, comme je prêtais l’oreille aux bizarres paroles que chantait sur un rythme bizarre un coolie Indien, des clairons s’engagèrent dans le polygone, au pas. Flanqué d’un chef de bataillon, mon père les suivait, à cheval, — j’ébauchai une grimace contrite ; — et ils précédaient leurs hommes qui se rangèrent à la droite du poteau, assez loin de lui nonobstant. Des artilleurs s’étendirent contre la gauche de l’infanterie de marine ; un escadron de gendarmes prit à son tour la gauche des artilleurs ; et ainsi réunis, formant trois côtés de carré, dont l’un, celui du milieu, regardait le poteau, ils simulaient trois plates-bandes : la première dominée de jaune, la deuxième de rouge, et la dernière de blanc. Tous étaient en grande tenue, sans fusil ; — je reconnaissais les officiers. — Et on resta en bataille au moins dix bonnes minutes. Pas un cri, pas un chuchotement ! mais un cliquetis continu de sabres, de lourds piétinements de chevaux, des éternuements rauques déchiraient l’air.

J’écoutai de nouveau la chanson de l’Indien, — elle s’éloignait, — puis, tandis que je dérobais une de mes jambes à la piqûre d’une brindille, une sonnerie éclata violemment tout à coup. Je tressautai ; le chien ne fit qu’un bond : « Pœuf ! ce devait être Pœuf ! » et ma salive se dessécha dans ma gorge.