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SECTION II, CHAP. II.

ment indépendant de l’ame. Sans la faculté de sentir, la mémoire productrice de notre esprit seroit sans fonctions ; elle seroit nulle. L’existence de nos idées et de notre esprit suppose celle de la faculté de sentir. Cette faculté est l’ame elle-même. D’où je conclus que si l’ame n’est pas l’esprit, l’esprit est l’effet de l’ame ou de la faculté se sentir[1].

  1. On me demandera peut-être qu’est-ce que la faculté de sentir, et qui produit en nous ce phénomene ? Voici ce qu’à l’occasion de l’ame des animaux pense un fameux chymiste anglais. On reconnoît, dit-il, dans les corps deux sortes de propriétés ; les unes, dont l’existence est permanente et inaltérable : telles sont l’impénétrabilité, le pesanteur, la mobilité, etc. Ces qualités appartiennent à la physique générale. Il est dans ces mêmes corps d’autres propriétés dont l’existence fugitive et passagere est tour-à-tour produite et détruite par certains combinaisons, analyse, ou mouvements dans les parties internes. Ces sortes de propriétés forment les différentes branches de l’histoire naturelle, de la chymie, etc. ; elles appartiennent à la physique particuliere. Le fer, par exemple, est un composé de phlogistique et d’une terre particuliere. Dans cet état de composition, il est soumis au pouvoir attractif de l’aimant. Décompose-t-on le fer, cette propriété est anéantie ; l’aimant n’a nulle action sur une terre ferrugineuse dépouillée de son phlogistique. Lorsque l’on combine ce métal avec une autre substance, telle que l’acide vitriolique, cette union détruit pareillement dans le fer la propriété d’être attiré par l’aimant. L’alkali fixe et l’acide nitreux ont chacun en particulier une infinité de qualités diverse ; mais il ne reste aucun vestige de ces qualités lorsqu’unis ensemble l’un et l’autre forment le salpêtre.

    Or, dans le regne animal, pourquoi l’organisation ne produiroit-elle point pareillement cette singuliere qualité qu’on appelle faculté de sentir ? Tous les phénomenes de médecine et d’histoire naturelle prouvent évidemment que ce pouvoir n’est dans les animaux que le résultat de la structure de leurs corps ; que ce pouvoir commence avec la formation de leurs organes, se conserve tant qu’ils subsistent, et se perd enfin par la dissolution de ces mêmes organes.

    Si les métaphysiciens me demandent ce qu’alors devient dans l’animal la faculté de sentir ; ce que devient, leur répondrai-je, dans le fer décomposé la qualité d’être attiré par l’aimant.