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il rit : voilà Voltaire. Voltaire et Rousseau sont les deux grimaces du désespoir.

Rousseau a une certaine conscience de son malheur ; le malheur de Voltaire est inconscient. Cet homme est si bas, que son rire n’est pas même forcé ! Voltaire est descendu si bas, qu’après avoir tué (dans la mesure de son pouvoir) Dieu, l’homme, la société, l’Art, il rit de bon cœur, et danse sur les cadavres qu’il croit avoir faits.

L’homme qui a perdu la foi la regrette souvent, la regrette quelque temps ; puis s’il descend dans l’abîme, ses regrets baissent comme ses désirs ; puis, quand il touche le fond, il méprise l’Infini. Quum in profondum venerit, contemnit.

Le caractère propre de Voltaire, c’est le mépris de l’Infini.

Ce rire veut du sang, parce qu’il porte en lui un désespoir inaperçu, mais mortel. L’âme humaine réclame toujours. Il faut bien une revanche à la partie sérieuse de nous-même. L’ironie trompe, et ne satisfait pas. Il y a dans notre cœur des abîmes intimes et sacrés, d’où sortent, quand ils sont vides, d’inexprimables gémissements. Vous essayez de rire avec calme, comme un homme bien élevé. Le blasphème n’est pas loin, vous dis-je ; car derrière l’homme bien élevé il y a l’homme ; sous votre habit, il y a un cœur.

Sous le rire de Voltaire, et à l’insu du rieur, le sang humain bouillonnait ; le sang hu-