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Il y a des crimes dont l’approche seule fait trembler. On est en garde contre eux et leur ombre fait peur. Ceux-là produisent le scrupule ; ils ont le privilège d’agir sur la conscience : vis-à -vis d’eux, elle est délicate, susceptible, timorée. Elle s’éveille pour une ombre et ne se rendort plus.

Il y a des crimes d’une autre espèce, via-à-vis desquels la conscience est sourde et muette. Ces crimes-là, on les commet à la légère, et on n’y pense plus quand on les a commis, ils endorment l’âme, ils l’appesantissent, ils ne l’épouvantent jamais. Ils se dissimulent, en tant que crimes. Ils entrent, sans faire de bruit, ils assoupissent l’homme dont ils s’emparent, et se rendent invisibles en entrant.

En tête des crimes de cette seconde espèce, figure ce crime suprême, qui a le double privilège d’être absolument inaperçu et absolument monstrueux !

Ne pas rendre justice aux vivants. On se dit : oui, sans doute, c’est un homme supérieur. Eh bien, la postérité lui rendra justice.

Et on oublie que cet homme supérieur a faim et soif, pendant sa vie. Il n’aura ni faim ni soif, au moins de votre pain et de votre vin, quand il sera mort.

Vous oubliez que c’est aujourd’hui que cet homme supérieur a besoin de vous, et que, quand il se sera envolé vers sa patrie, les choses que vous lui refusez aujourd’hui et que