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beau universel, dans l’abîme silencieux de l’orgueil.

Gœthe semble croire que, possédant la science de la vie et la source de la force, il peut voir sans trouble tous les troubles de la terre. Il semble croire qu’il sait le mot de l’énigme, et que, s’il ne nous le dit pas, c’est pour se mettre à la portée de notre taille humaine.

On dirait qu’il a arraché son secret non à Dieu, mais à la nature qui le remplace, et qu’il voit l’histoire du monde du haut d’une tour.

Mais cette tour est l’illusion d’un rêve. Gœthe est l’incarnation du protestantisme. Il ne représente pas l’apparence, mais il représente admirablement la réalité du protestantisme.

Cet homme est tout entier dans cette parole qu’il a pu écrire :

Je me fis une religion à mon usage[1].

N’est-il pas étrange de prononcer ces mots sans être averti par eux-mêmes du crime étrange qu’ils contiennent ? N’est-il pas étrange de faire sa religion, et d’oser le dire, et de la regarder en face, sans rire, quand on la regarde comme son œuvre ? La vie de Gœthe est contenue dans cette phrase, qui exprime dans sa brièveté la nature même et la pratique de l’hérésie (Αἵρεσις, choix). L’hé-


  1. Mémoires de Gœthe, liv. XV.