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tateur. Ils cèdent au mouvement qui les emporte sans se soucier de l’œil qui les regarde. Ils sont admirables parce qu’ils remplissent, sans s’occuper de nous, leurs fonctions. Ils font ce qu’ils sont chargés de faire, et ne s’interrompent pas pour se faire regarder. Le lion qui bondit dans le désert ne se demande pas si sa beauté a des témoins ; s’il se complaisait dans la pensée de sa force et de sa souplesse, il deviendrait raide et guindé.

L’homme vise à l’effet ; de là le ridicule. La passion, même la plus coupable, quand elle se jette sur sa proie sans souci d’être admirée, n’est pas ridicule. Mais à l’instant où elle se complaît dans la pensée de la violence, phénomène bizarre mais très fréquent chez l’homme, elle ajoute à son crime le ridicule.

L’homme qui fait une bonne action, si par malheur il mêle à l’intention la plus louable une pensée d’amour-propre, n’échappe pas au ridicule. Quand vous sauveriez la vie, dans un naufrage, à tout l’équipage d’un navire au péril de votre vie, si, au lieu de vous livrer à la joie pure de l’acte accompli, vous visez à l’admiration d’un spectateur quelconque, le ridicule intervient. L’héroïsme ne suffit pas pour le chasser. La simplicité seule lui ferme la porte. Nul homme ne sera jamais simple et ridicule. Tout homme qui cessera d’être simple deviendra immédiatement ridicule, quoi qu’il fasse d’ailleurs et quoi qu’il dise ; les larmes mêmes deviennent ridicules, si elles ont l’air, en coulant, de penser qu’on les voit.