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LES UNS ET LES AUTRES



L’homme de génie n’est pas celui qui pense, ou du moins qui pense toujours autre chose que les autres hommes ; mais, quand il pense les mêmes choses, il les pense autrement.

Il les pense dans leur réalité intime. Il pense les nombres dans leur rapport avec l’unité. Il peut dire ce que tout le monde a dit avant lui et dire une chose étonnante. Comment cela ? C’est son secret. La griffe du lion laisse son empreinte.

L’homme de génie et un autre homme peuvent tous deux nommer l’Art ; mais ce nom ne sera pas dans ces deux bouches la même parole. Le cèdre et le brin d’herbe reçoivent la même lumière du même soleil, mais se l’assimilent diversement.

Il voit la même lumière que les autres, mais il la voit sous un angle particulier. Sous cet angle, les choses qui apparaissent désunies aux autres lui apparaissent unies, et son regard approche du principe même de la liaison. Il suit les fleuves du côté de leur embouchure, du côté par où ils se jettent dans la même mer, et s’il n’atteint pas ce dernier lieu, il y pense et il y tend.