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par une âme immortelle, il doute de l’immortalité de l’âme. Mourir, dormir, rêver peut-être ? Et il vient de causer avec son père mort !

Pour qui veut douter, le doute est possible en face des tombeaux rouverts. Shakspeare nous le dit magnifiquement, et M. de Chateaubriand n’a pas compris.

Hamlet aime Ophélia ; mais il pousse le doute jusqu’à douter de son amour. Tant qu’elle vit, il la repousse ; il s’aperçoit qu’il l’aime, en la voyant enterrer.

Il a soif de vengeance ; mais, poursuivi par le doute, dans ce dernier retranchement, il hésite devant la vengeance, sans incliner vers le pardon. Sur le point d’égorger le meurtrier de son père, il recule, dit-il, dans la crainte de l’envoyer au ciel, si par hasard il est en état de grâce. C’est un prétexte, une défaite.

Il veut ne pas punir et ne pas pardonner. Il reste immobile, cloué par le doute, qui lui interdit tout à la fois. Il se tourne vers Ophélia ; il doute d’elle ; vers lui-même, et il doute de lui ; vers le ciel, et il doute de Dieu. L’idéal lui apparaît à l’horizon, comme un char de feu emportant ce qu’il aime. De son regard fixe et avide, il suit la trace des roues sur la rosée brûlante, puis s’arrête les bras croisés, incapable d’agir, incapable aussi de renoncer. Il ferme les yeux, abandonnant au hasard le soin de son amour et celui de sa haine.

Passons le Rhin. Le hasard va être remplacé