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la doctrine du hasard ; celui qui doute croit au hasard. Le Dieu de Hamlet, c’est le doute ; son culte, c’est le hasard.

To be or not to be, voilà la formule de la prière qu’il faut à ce Dieu. Le sacrifice qu’il exige, c’est la mort donnée par le Hasard. On se tue sans savoir pourquoi ni comment. Le Doute triomphe et le Hasard est satisfait. Le dieu Hasard demande avec une fureur aveugle et indifférente la mort des bons et des mauvais, des innocents et des coupables ; mais ni le coupable n’expie, ni l’innocent ne rachète : le Hasard frappe sans but, et l’homme meurt sans raison. On frappe pour frapper, on tue pour tuer, on meurt pour mourir ; on s’en va parce qu’il faut faire place à d’autres, et voilà tout.

Hamlet est l’apothéose du doute, sa déification. Or le triomphe du doute, c’est de régner sur un homme qui voit. Hamlet voit l’ombre de son père et doute de l’immortalité de l’âme.

M. de Chateaubriand dit quelque part qu’Hamlet, qui cause avec un revenant, devrait savoir à quoi s’en tenir.

M. de Chateaubriand ne s’est pas aperçu qu’il reprochait à Shakspeare la beauté suprême de son œuvre. En donnant à cet homme, qui est l’incarnation même du doute, la vue physique de ce dont il doute, sans lui enlever son doute, Shakspeare a fait un trait de génie. L’esprit même de son père, en se montrant à lui, en lui parlant, ne réussit pas à lui faire affirmer quelque chose. Poursuivi