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passions, mais ce ne sont plus les passions de l’homme, ce sont les passions de la destinée.

Nous sommes, disons-nous souvent en France, le peuple le plus spirituel et le plus moqueur du monde entier, et pourtant nous frémissons depuis deux cents ans, avec un sérieux imperturbable, en écoutant, au Théâtre Français, les Fureurs d’Oreste.

J’ai vu plusieurs fois jouer Andromaque : j’ai regardé en face l’acteur condamné à prononcer ces vers :


Mais que vois-je ? à mes yeux Hermione l’embrasse ;
Elle veut l’arracher au coup qui la menace.
Dieux ! quels affreux regards elle jette sur moi !
Quels démons, quels serpents traîne-t-elle après soi ?
Hé bien ! filles d’enfer, vos mains sont-elles prêtes ?
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?
A qui destinez-vous l’appareil qui vous suit ? etc.

On se demande malgré soi, malgré les leçons de l’expérience, si l’acteur, saisi d’une fureur plus légitime et plus réelle que celle d’Oreste, ne va pas s’arrêter avant cette tirade, vaincu par ce sentiment énergique qui est la conscience du ridicule. Dans la tragédie grecque, les Euménides vivent et respirent ; elles sont les personnages principaux. Oreste n’est là que parce qu’il leur faut une victime, mais elles ne le quittent pas ! L’air, autour de lui, est évidemment empoisonné. Qu’on les voie ou qu’on ne les voie pas, on pense à elles, on s’attend à elles. Oreste n’a pas besoin,