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le prenant pour un abri, et rien n’est plus naturel. Séduit par les défauts mêmes qu’il déteste, il excepte de sa colère la femme qui la mérite le plus, et met en évidence, par la ferveur de son illusion, la vérité qu’il méconnaît. Élevez la nature de Célimène ; donnez-lui, dans l’ordre du mal, d’autres proportions ; nommez Hermione cette femme vivante, et placez-la en face d’Oreste, l’erreur d’Oreste expliquera : il aura affaire à une Furie réelle qui le dispensera d’être poursuivi par des Furies de théâtre : il aura du moins une occasion pour perdre la tête, une raison pour tuer, une raison pour mourir.

Mithridate est amoureux ! Je n’insiste pas sur le ridicule de sa position, mais je demande la permission d’exprimer en un mot une observation qui me frappe : son amour est abstrait. Harpagon est amoureux, à peu près comme Mithridate. Mais de plus il est avare. Or son avarice empêche son amour d’être abstrait, parce que cette avarice est une seconde passion, qui accompagne la première, qui la combat : parce que cette avarice nous présente un nouvel aspect d’Harpagon, et que l’homme qui a deux aspects a un caractère humain : celui qui n’a qu’un aspect est un héros. Enlevez à Harpagon son avarice ; réduisez-le à son amour isolé ; ôtez-lui la contradiction qui le fait homme : vous avez Mithridate. L’adresse de Molière est de combiner dans un individu deux passions qui ne s’accordent pas, et de placer le personnage dans