Page:Hellenisme no 12 1905.djvu/2

Cette page n’a pas encore été corrigée
LES
Devoirs des Hellènes et des Philhellènes



[M. de Coubertin a bien voulu écrire pour l’Hellénisme les lignes suivantes, inspirées par cet ardent amour de la Grèce qu’il a si souvent et si diversement manifesté.

Les vœux de M. de Coubertin, en vue du développement matériel et intellectuel de l’hellénisme, sont tout naturellement nos propres vœux.

L’éloquent appel qu’il adresse à ses amis nous suggère pourtant cette crainte qu’en un moment où nos adversaires s’arment jusqu’aux dents, allant jusqu’à déclarer officiellement qu’ils aspirent à être les « Prussiens des Balkans », il n’y ait un grave danger pour la Grèce à négliger le souci direct de sa défence pour s’adonner à un programme si exclusivement pacifique.]

Nous sommes entre nous dans cette revue. On peut parler librement. Eh bien ! j’en voudrais profiter pour formuler le grand reproche que méritent à la fois Hellènes et Philhellènes. C’est de ne pas agir. Nous discourons beaucoup trop ; nous nous grisons de mots, de sentiments, de vibrations, d’espérances. C’est la faute de Minerve et de tout ce resplendissant cortège grec avec lequel elle traverse non imaginations. Cette déesse là ne connaît pas l’incognito ; des pompes surhumaines l’environnent de façon permanente. Nous en sommes éblouis. C’est naturel mais fâcheux car, ainsi, nous oublions d’agir et ce monde-ci appartient aux agissants.

En mentionnant l’autre jour dans le Figaro le livre récent d’Édouard Théry qui contient de si excellents conseils, je faisais remarquer qu’il concluait à faire sans retard de la Thessalie un grenier à blé et du reste de la Grèce un musée aisément accessible à tous les pèlerins de l’univers. Je rappelle en même temps mon argument favori sur ce que devrait être l’Université d’Athènes. Voilà les trois termes du programme dans lequel, si j’avais l’honneur de gouverner là-bas, je m’efforcerais d’enfermer l’activité Hellène. Laissez donc là, dirais-je à mes concitoyens, le souci de la politique extérieure ; ce n’est pour vous qu’une matière à discours creux. La Grèce n’a point, à proprement parler, de rôle à jouer dans les affaires européennes ; la géographie la rend indépendante des disputes internationales et si, d’aventure, il y a un mot à dire, un geste à faire, vous savez que ce mot sera dit, que ce geste sera fait par celui qui vous représente au dehors, par le souverain clairvoyant et avisé qui possède le triple prestige d’un long règne, d’une haute valeur personnelle et d’une série de parentés augustes et d’alliances utiles. Laissez de côté aussi vos stériles récriminations intérieures. Attendez-vous donc le progrès national d’une victoire de parti ? Êtes-vous devenus si naïfs que vous ne sachiez pas ce que valent un programme électoral et le résultat du scrutin le plus triomphal ? Groupez-vous autour de nous ; nous allons laisser dormir la politique extérieur et pourrir sur pied le fonctionnarisme. Nous allons créer une Agence Cook colossale qui permettra ç tout barbare de venir faire sa prière sur nos collines sacrées, — nous allons donner tous nos soins aux perfectionnements agricoles que réclament nos provinces fertile — et ici, à Athènes, nous allons appeler les professeurs les plus illustres et les étudiants les plus avides de succès. Attirer des voyageurs, faire pousser du blé, ériger la première université du monde, nous ne cherchons rien d’autre, parce que rien d’autre ne saurait restaurer à un égal degré la suprématie de l’Hellénisme.

Ce langage serait entendu, je n’en doute pas ; et l’on comprendrait aussitôt que la question hellénique va marcher à grands pas vers sa solution, — vers cette solution que ne lui procureraient ni les soldats les mieux armés, ni la diplomatie la plus subtile, ni les lois les plus sages. Or la Grèce n’a jusqu’ici essayé de progresser que par ce triple moyen ; le fusil, la négociation et le vote. Il en est un quatrième, le seul qui puisse réussir, c’est le travail ; le travail individuel, à l’américaine, le travail de chaque citoyen en vue de la richesse et de la renommée.

Tels sont, à mon sens, en l’an de grâce 1906 les devoirs des Hellènes qui aiment leur patrie.

Quels sont ceux des Philhellènes ?

Pour les déterminer il faut établir une distinction essentielle entre deux sortes de philhellènes, ceux qui le sont réellement et ceux qui prétendent l’être. Il n’y a aujourd’hui, qu’une seule façon d’être philhellène, c’est de croire à la Grèce moderne, à sa vitalité, à son génie, à son avenir — et de voir dans l’hellénisme le principe régénérateur des régions balkaniques et ottomanes. Je ne reconnais pas pour mes frères en philhellénisme ceux qui s’arrêtent à mi-chemin, rendent de vagues hommages à la mémoire de Périclès et marquent à ses descendants une bienveillance platonique et légèrement dédaigneuse. Honorer le passé grec, la belle affaire ! Tout le monde l’honore qui n’est pas un imbécile. Contribuer à sa restauration, à la bonne heure, voilà une preuve valable de sympathie et de fidélité.

Il ne devrait y avoir qu’une seule association de philhellènes, internationale, ayant son centre à Paris et ses annexes à Londres, à New-York, à Berlin ; cette association puissante devrait prendre en main la cause de l’Hellénisme en Macédoine, en Crète, en Asie Mineure ; c’est elle qui devrait négocier à Constantinople, intervenir près des gouvernements étrangers, s’entremettre de tous côtés — mais non pas acheter des canons comme le proposaient naïvement les initiateurs d’un mouvement auquel, pour ma part, je ne donnai naguère mon adhésion qu’à contre-cœur, tant je l’estimais déraisonnable et à côté. Pas de canons, pas de guerre. Les Hellènes groupés en phalanges de travailleurs, âpres à s’enrichir et à se rendre par la richesse, indépendants des hommes et des circonstances — les Philhellènes unis pour la propagation de la langue et de la philosophie grecques, la sauvegarde des églises et des écoles, l’extension intellectuelle et morale de l’hellénisme — voilà comment je comprends le monde grec, idéalement organisé en vue d’une extension rapide et d’une transformation féconde.

Il ne ressemble pas à ce tableau, avouons-le et c’est parce qu’il n’y ressemble pas que les progrès se font trop lentement au gré de nos désirs communs, et que bien des occasions ont