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« Aussitôt, les requins s’élancèrent du sein des vagues ; ils arrivaient par bataillons ; ils aiment tant la chair noire ! Ce sont mes pensionnaires.

« Ils suivaient la trace de notre navire depuis que nous avons quitté la côte. Les scélérats flairent l’odeur des cadavres avec des narines de gourmet.

« C’est tout à fait comique de les voir happer les morts. Celui-ci croque une tête, celui-là une jambe ; les autres avalent des lambeaux de chair.

« Quand tout est dévoré, ils se trémoussent joyeux autour des flancs du navire et me regardent avec de grands yeux de verre à fleur de tête, comme s’ils voulaient me remercier du déjeuner. »

Van Koek en soupirant lui coupe la parole : « Comment adoucir le mal ? comment arrêter le progrès de la mortalité ? »

Le docteur répond : « Beaucoup de noirs sont morts par leur faute : c’est leur mauvaise odeur qui a corrompu l’air de leur prison sous le pont.

« Beaucoup aussi sont morts de mélancolie, parce qu’ils s’ennuyaient à périr. Un peu d’air, un peu de musique et de danse suffira pour guérir le mal. »