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L


Le thé servi, leur polémique
Roula sur l’amour longuement ;
Les messieurs s’armaient d’esthétique,
Les dames parlaient sentiment.

— « L’amour doit être platonique »
Risqua le maigre président ; —
Sa moitié sourit, ironique,
Et gémit tout bas ; cependant !

Legros chanoine, ouvrant sa bouche
Toute large, dit galamment :
« L’amour sensuel et farouche
« Nuit fort à la santé. » — Comment ?

Fit la plus jeune ; — avec tristesse,
Offrant une tasse au baron, —
« L’amour soupira la comtesse,
« Est une sombre passion ! »

— Une place restait vacante ;
C’est là que parlant sans détour,
Il fallait l’entendre, éloquente,
Argumenter sur ton amour !


LI


Dans tous mes chants le fiel pénètre,
Et leur douceur ne peut renaître :
Sur mes jours tout en fleurs n’as-tu pas à foison
Épanché sans remords le plus sombre poison ?

Le poison dans mes chants pénètre,
Je n’en puis plus sauver mon être :
Tout un nœud de serpents dans mon cœur s’est niché,
— Et puis toi, mon amour, par-dessus le marché !


LII


Nuit de mai ; toujours l’ancien rêve,
Sous un tilleul, couple écarté,
Nous nous jurions fidélité :
Tu jurais, tu jurais sans trêve.

C’était un bonheur surhumain ;
Baisers, serments, foi sans partage ;
Pour m’en laisser un témoignage,
En passant tu mordis ma main.

Piquante enfant dont je salue
Les beaux yeux, les dents sans défaut
Tes serments étaient comme il faut,
Ta morsure était superflue.


LIII


Du coteau j’ai gravi le faîte ;
Là, comme un tendre damoiseau,
Plein de sentiment, je répète :
« Ah ! si j’étais petit oiseau ! »

Vers toi, si j’étais hirondelle,
Je m’envolerais, triomphant,
Et je me nicherais, fidèle,
Sous ta fenêtre, ô chère enfant.

Dans le vert tilleul qui l’ombrage.
Rossignol je me cacherais ;
Toute la nuit de mon ramage,
Chère enfant, je te charmerais

Perroquet, sur ton cœur volage.
J’irais percher ; — de ces hâbleurs
Il aime tant le bavardage.
Et guérit si bien les douleurs.


LIV


Trottant en léger véhicule,
Par l’ombre du bois reverdi.
Par vaux, tout en fleurs je circule
Dans l’or enchanté de midi.

Aux bras des plus tendres images
Se berce en rêvant mon amour :
Voilà trois burlesques visages
Qui viennent me dire bonjour.

Ils sautent, me font la grimace,
Risquant leur timide brio.
Et tel qu’un brouillard qui s’efface
S’esquive en pouffant leur trio.