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XLI


J’ai rêvé d’une enfant de famille royale ;
Elle avait l’œil humide et sa joue était pâle ;
Un tilleul nous prêtait son ombrage charmant,
Et tout bas nous parlions, enlacés tendrement.

— « Sceptre d’or de ton père, éclatante couronne,
» Trône altier qu’à genoux tout un peuple environne,
» Que m’importe ! — palais, courtisans, royauté,
» Je ne veux que toi seule, ô ma fleur de beauté !

— « Je ne puis accomplir ton désir, me dit-elle,
» Car la tombe a reçu ma dépouille mortelle ;
» Je ne sors que la nuit du sépulcre noirci. —
» Et je t’aime ardemment, — c’est pourquoi me voici !


XLII


strophes rythmées pour musique
(Temps de barcarolle en 12/8).


Tendrement, côte à côte, en légère carène,
Cher amour, nous nous fûmes assis ;
Nous voguions par la nuit étoilée et sereine.
Sur l’abîme des flots obscurcis.

Tout au loin, dans une île, enchantée et mystique,
Où luisait le croissant nébuleux,
Une ronde d’Esprits s’agitait, fantastique,
Aux accents d’instruments fabuleux.

Leurs suaves accords s’élançaient vers la nue,
Les danseurs tournoyaient affolés !
— Et nous deux, nous passions près de l’île inconnue,
Sans espoir, sur les flots désolés ;


XLIII


Les vieux contes charmant nos veilles
Parlent en langage ingénu,
D’un beau pays, plein de merveilles,
Qui reste à la terre inconnu,

On y voit, d’amour languissantes,
L’une vers l’autre se penchant,
De grandes fleurs éblouissantes,
Se bercer dans l’or du couchant.

Les arbres, dans un chœur féerique,
Mêlent leurs chants mélodieux
Aux sources d’où sort la musique
D’un orchestre fait pour les dieux.

Des chansons d’amour enivrantes,
Vibrant sur un mode enchanté,
Passent dans l’air, si délirantes,
Qu’on en pleure de volupté.