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5

Dans le soir calme et mélancolique, les lieder depuis longtemps oubliés chantent autour de moi, et des pleurs coulent sur mes joues, et le sang ruisselle de mon vieux cœur blessé.

Et, comme en un miroir enchanté, je revois l’image de ma bien aimée. Elle est assise, en corsage rouge, à sa table à ouvrage, et autour d’elle règne un bienheureux silence.

Tout-à-coup, la voilà qui saute de sa chaise ; elle coupe sa boucle la plus belle et me la donne, — ma joie est telle que j’ai peur.

Méphisto a gâté mon plaisir : de cette mèche il a fait une corde solide et, depuis des années, il me tire où il veut.


6

« Quand je te revis l’autre année, tu ne m’as pas embrassée pour ma bien venue. » Je dis, et la bien-aimée, de sa bouche rouge, imprima sur mes lèvres le plus beau des baisers.

Avec un doux sourire, elle cueillait une branche au myrte qui croissait à sa fenêtre : « Prends, dit-elle avec un geste amical, prends cette branche, plante-la dans de la terre fraîche et mets un verre dessus. »

Il y a longtemps de cela. Le rameau est mort dans le pot. Elle, je ne l’ai pas vue depuis des années, mais son baiser me brûle encore la bouche.

Et récemment, il m’a ramené de fort loin aux lieux où demeure ma bien-aimée. Toute la nuit j’ai stationné devant sa porte et n’en suis parti qu’au matin.


7

Prends garde, mon ami, aux affreuses grimaces du diable, mais les douces singeries des anges sont plus dangereuses encore. Un d’eux m’envoya un jour un joli baiser, mais quand je m’approchai, je sentis ses griffes acérées.