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Malheur ! Malheur ! frères tout sanglants ! Malheur ! Malheur ! sanglant vallon ! Les deux lutteurs s’effondrent, percés tous les deux par le fer.

Beaucoup de siècles ont passé, la tombe a englouti des générations en masse ; triste, du haut de la montagne, le château désert contemple la vallée.

Et la nuit, au creux de la vallée, on entend des pas furtifs et mystérieux ; et lorsque sonne la douzième heure, les deux frères reprennent le combat.


4
LE PAUVRE PIERRE


Jean et Marguerite dansent ensemble, et causent joyeusement. Pierre se tient immobile et muet ; il est pâle comme de la craie.

Jean et Marguerite sont mari et femme, et resplendissent dans leurs habits de noces. Le pauvre Pierre se mord les doigts et porte des habits de tous les jours.

Pierre se parle bas à lui-même, et regarde tristement l’heureux couple : « Ah ! si je n’étais pas si raisonnable, dit-il, je me ferais quelque mal.

« Je porte en moi une douleur qui me déchire la poitrine, et en quelque lieu que je m’arrête ou que j’aille, elle me pousse en avant.

« Elle m’entraîne vers ma bien-aimée, comme si la présence de Marguerite pouvait me guérir. Pourtant, dès que je suis sous ses regards, je ne peux rester en place.

« Je monte au haut de la montagne. Là, on est pourtant bien seul ; et si là-haut je m’arrête paisiblement, alors je m’arrête paisiblement et je pleure. »

Le pauvre Pierre arrive à pas lents, chancelant, craintif, pâle comme un mort ; les voisins se tiennent sur le chemin pour le regarder passer.