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6

Attends, attends, dur batelier, je t’accompagne vers le port ; je prends congé de deux jeunes filles, de l’Europe et de mon aimée.

Source de sang, coule de mes yeux ; source de sang, épanche-toi de mon corps, afin qu’avec ce sang ardent, j’écrive mes souffrances.

Ah ! mon amour, pourquoi précisément aujourd’hui, la vue de mon sang te fait-elle frémir ? Voilà des années que tu me vois pâle et le cœur sanglant !

Connais-tu encore la vieille légende du serpent dans le paradis, qui, avec sa pomme insidieuse, fit la perte de notre aïeul ?

Tous les maux sont venus de la pomme ! Ève apporta ainsi la mort, Eris les flammes de Troie. Toi, tu as apporté tout ensemble la flamme et la mort.


7

Montagnes et burgs se mirent dans le clair miroir du Rhin et mon petit bateau file joyeusement en plein soleil.

Paisible, je regarde le mouvement des vagues qui ondulent avec des reflets d’or ; et les sentiments endormis au fond de mon âme s’éveillent en silence.

Le magnifique fleuve m’attire, j’entends son appel prometteur. Mais je le connais : son éclat trompeur dissimule la mort et la nuit.

Au dehors le bonheur et au dedans des pièges : ô fleuve, tu es l’image de ma bien-aimée ! Elle aussi sait prendre un air si tendre, elle aussi sourit si gentiment !


8

Au début, je fus sur le point de perdre tout espoir ; j’ai cru que je ne me résignerais jamais. J’y suis cependant parvenu, mais ne me demandez pas comment !