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C’était ma bien-aimée délicieuse, ayant pour mari un homme étranger. Je me plaçai derrière le fauteuil de la mariée, et je me tins debout sans proférer un son.

La musique éclata, — je restais immobile : le bruit de cette joie m’accablait. La mariée semblait transportée de bonheurs le marié lui pressait les mains.

Le marié remplit son verre, il y trempe ses lèvres et le tend à la mariée. Celle-ci remercie d’un sourire, — ô douleur ! c’était mon sang rouge qu’elle buvait.

La mariée prit une jolie petite pomme et la tendit au marié. Il prit son couteau, et coupa la pomme, — ô douleur ! il coupait mon cœur.

Ils se regardaient dans les yeux tendrement et longuement ! hardiment le marié enlace la mariée et l’embrasse sur ses joues roses, — ô douleur ! j’ai senti le baiser glacial de la mort.

Ma langue était de plomb dans ma bouche, si bien que je n’aurais pu proférer le moindre mot. Un mouvement se fit dans la salle, la danse commençait, le couple élégant en tête.

Et tandis que, dans un mortel silence, je demeurai, les danseurs me frôlaient au passage ; — le marié murmura un mot à la mariée ; celle-ci rougit, mais ne se fâcha pas.

Furtifs, ils gagnent la porte de la salle ; je voulus les suivre, mais mes pieds étaient de marbre, — la douleur me pétrifiait.

La douleur me pétrifiait. Je me traînai pourtant jusqu’à la chambre nuptiale ; devant la porte, deux vieilles étaient accroupies.

L’une était la Mort, l’autre la Folie. Sur leur bouche sans lèvres elles posaient un doigt décharné, — je râlais, je suffoquais, finalement j’éclatai de rire, et le bruit de mon rire m’éveilla.[1]

  1. Les trois dernières strophes ne figurent pas dans les récentes éditions allemandes. Nous les empruntons à la traduction française parue du vivant de Heine. (Note des éditeurs).