Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Écoutez, lui dis-je avec compassion, puis-je faire quelque chose pour vous délivrer de votre peau de chien et vous rendre à la poésie et à l’humanité ?

Mais le poète souabe leva ses pattes au ciel avec désespoir, et enfin j’entendis ces paroles au milieu de ses soupirs et de ses sanglots :

« Je suis incarcéré dans cette peau de caniche jusqu’au jugement dernier, si la magnanimité d’une vierge ne me délivre pas de cet enchantement.

« Oui, une vierge que l’approche de l’homme n’a pas souillée, peut seule me sauver, et voici à quelle condition :

« Cette vierge chaste, durant la nuit de Saint-Sylvestre, doit lire les poésies de M. Gustave Pfizer sans s’endormir.

« Si elle ne succombe pas au sommeil pendant cette lecture, si elle ne ferme pas ses chastes paupières, alors le sortilège est détruit, je redeviens homme, je suis décaniché ! »

— Ah ! dans ce cas-là, repris-je, je ne puis pas entreprendre l’œuvre de votre délivrance, car 1o je ne suis pas une chaste vierge,

Et 2o je serais encore bien moins en état de lire les poésies de M. Gustave Pfizer sans m’endormir au beau milieu.


23

Des hauteurs fantastiques qu’habite la sorcellerie, nous redescendons dans la vallée, nous reprenons pied dans le réel, nous marchons dans le monde positif.

Arrière, fantômes, visions nocturnes, apparitions aériennes, rêves fébriles ! nous revenons à la raison et à Atta Troll.

Le bon vieux repose dans sa caverne, près de ses petits, et il ronfle du sommeil des justes. Il s’éveille enfin en bâillant.

Derrière lui est son fils, le jeune Une-Oreille, qui se gratte la tête comme un poète qui cherche la rime ; il a même l’air de scander le rythme.