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Je m’approchai d’elle et lui dis à l’oreille : « Ô dis-moi donc, douce et belle fille, pour qui tu tailles ce coffre en chêne ? »

Elle me répondit très vite : « Le temps presse, c’est ton cercueil que je construis ! » Et comme elle achevait ces mots, son image s’évanouit comme une fumée.

Et tout autour de moi, à l’infini, la lande s’étendait pâle et nue. Je ne comprenais rien à cette aventure, et je frissonnais dans mon cœur.

Et comme j’errais au hasard, j’aperçus une forme blanche. Je courus dans sa direction, — et voyez ! c’était encore la belle fille.

Penchée sur la pâle lande, elle creusait la terre avec une bêche. À peine osais-je la regarder encore, tant elle était épouvantable et belle.

La belle fille se hâtait et chantait un refrain fort étrange : « Bêche, bêche tranchante et large, creuse une fosse ample et profonde ! »

Je m’approchai d’elle et lui dis à l’oreille : « Ô dis-moi donc, douce et belle fille, ce que veut dire cette fosse ? »

Elle me répondit très vite : « Prends patience, cette tombe fraîche est pour toi. » Et comme la belle achevait ces mots, la fosse s’ouvrit toute béante.

Et comme j’y jetais les yeux, un frisson de peur me saisit. Je fus jeté dans la nuit noire de la tombe et brusquement je m’éveillai.


3

En rêve, cette nuit, je me suis vu moi-même en habit noir et gilet de satin, les poignets dans des manchettes, comme quand on se rend en soirée ; et devant moi était ma douce et chère bien-aimée.

Je m’inclinai et je dis : « Êtes-vous la mariée ? Eh bien, Mademoiselle, recevez tous les compliments de votre très humble serviteur. » Mais ces froides et cérémonieuses paroles me nouaient la gorge et m’étranglaient.