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Là-haut j’entendis de près cette pauvre neige soupirer et gémir, et raconter au vent volage et insensible toute sa blanche misère.

Oh ! disait-elle, comme les heures passent lentement dans cette solitude, des heures sans fin, des éternités gelées.

Ah ! pauvre neige que je suis ! si, au lieu d’être tombée sur ces hautes montagnes, j’étais tombée dans la vallée, dans la vallée où les fleurs s’épanouissent !

J’aurais fondu là et formé un petit ruisseau, et le plus beau garçon du village serait venu se laver en souriant à mon oncle.

Oui, j’aurais peut-être coulé jusqu’à la mer, où je pouvais devenir perle pour orner à la fin la couronne d’un roi ! —

Lorsque j’eus entendu ces paroles de la pauvrette, je lui répondis : « Chère petite neige, je doute beaucoup qu’un sort aussi brillant t’ait attendue dans la vallée.

« Console-toi. — Peu de tes sœurs deviennent perles ici-bas. Tu serais peut-être tombée dans un bourbier, et tu n’aurais été qu’une ordure. »

Pendant que je conversais ainsi avec la neige, j’entendis un coup de fusil, et un vautour brun tomba des nues à mes pieds.

C’était une plaisanterie de Lascaro, une plaisanterie de chasseur ; mais son visage était, comme toujours, sérieux et impassible.

Seulement le canon du fusil fumait encore. Il prit en silence une plume à l’aile de l’oiseau, la fixa sur son feutre pointu et continua son chemin.

C’était un coup d’œil sinistre que de voir son ombre avec sa plume s’agiter longue et noire sur la neige blanche des glaciers.


17

C’est une vallée qui ressemble à une rue. Son nom est le Ravin des Esprits. De chaque côté, des rochers escarpés s’élèvent à des hauteurs vertigineuses.