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chagrin ; j’ai assez d’armes et de soldats, mais ce sont les chevaux qui manquent.

« J’ai envoyé de tous côtés des maquignons qui achètent pour moi les meilleurs chevaux ; j’en ai déjà un bon nombre.

« J’attends que le nombre soit complet, et alors je frapperai, et je délivrerai ma patrie, mon peuple allemand qui m’attend avec fidélité. »

Ainsi parla l’empereur, mais je m’écriai : « Frappe, vieux compagnon ! frappe tout de suite, et si tu n’as pas assez de chevaux, prends des ânes à leur place. »

Barberousse reprit en souriant : « Rien ne presse, il n’y a pas nécessité de se tant dépêcher. Rome n’a pas été bâtie en un jour. Une bonne œuvre demande du temps.

« Ce qui ne vient pas aujourd’hui viendra sûrement demain. Ce n’est que lentement que croît le chêne, et chi va piano va sano, dit un proverbe de l’empire romain. »


16

Un cahot de voiture m’éveilla ; bientôt pourtant je refermai les paupières, je me rendormis et je rêvai encore de Barberousse.

Je me promenais encore avec lui par les salles sonores ; il me faisait maintes et maintes questions, et avait mille choses à me faire raconter.

Depuis bien, bien des années, depuis la guerre de sept ans, il n’avait pas appris la moindre nouvelle de notre monde d’en haut.

Il s’enquit de Moïse Mendelssohn, de la Karschin, il s’informa avec intérêt de la comtesse Dubarry, la maîtresse de Louis XV.

« Ô empereur ! m’écriai-je ? comme tu es en retard ! Moïse Mendelssohn est mort depuis longtemps avec sa Rebecca ; Abraham, son fils aussi est mort et enterré.