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Il n’était plus assis sur sa chaise de pierre, auprès de la table de pierre, comme une statue de pierre. Il n’avait pas non plus la mine aussi respectable qu’on se le figure ordinairement.

Il parcourait les salles en causant familièrement avec moi. Il me montrait, avec le contentement d’un antiquaire, les curiosités et les trésors de son château.

Dans la salle des armes il m’expliqua comment on se servait des massues ; il frottait avec l’hermine de son manteau quelques épées pour en ôter la rouille.

Il prit un plumeau de paon et épousseta mainte armure, maint casque, maint armet à pointe, mainte hallebarde.

Il épousseta aussi le drapeau et me dit. « Ce qui me rend le plus fier, c’est que la teigne n’a pas encore mangé la soie, et que les vers n’ont pas encore piqué le bois. »

Et quand nous fûmes arrivés à la salle où plusieurs milliers de guerriers dormaient à plate terre, tout armés pour le combat, le bonhomme me dit en clignotant de l’œil, avec une certaine satisfaction puérile :

« Ici, il nous faut parler et marcher sans bruit, pour ne pas éveiller ces braves gens ; voilà cent années d’écoulées encore, et nous sommes aujourd’hui au jour de paie. »

Et voilà que l’empereur s’approche doucement des soldats endormis et leur met à chacun un ducat dans la poche.

Je le contemplai plein de surprise, alors il se mit à me dire en souriant : « Je leur donne à chacun un ducat pour solde tous les cent ans. »

Dans la salle où les chevaux se tenaient debout en longues et muettes rangées, l’empereur se frotta les mains ; il paraissait se réjouir singulièrement.

Il comptait les chevaux un à un et leur caressait les côtes. Il comptait et recomptait ; ses lèvres s’agitaient avec inquiétude et avec hâte.

« Ce n’est pas encore le nombre juste, disait-il enfin tout