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La table était mise. Là je retrouvai tout à fait la vieille cuisine germanique. Je te salue, choucroute ! Tes parfums sont enivrants !

Des châtaignes grillées dans des choux verts, comme celles que je mangeais jadis chez ma mère ! Salut stockfische de la patrie ! comme vous nagez joyeusement dans le beurre ! que vous avez de l’esprit !

À tous les cœurs bien nés la patrie est chère ! J’aime aussi, d’un beau brun doré, les harengs saurs aux œufs !

Comme les saucissons babillent gentiment dans la graisse qui pétille ! Les grives, en bons petits anges rôtis, avec de la compote de pommes, me gazouillent la bienvenue.

Sois le bienvenu, compatriote, me gazouillent-elles tout bas ; tu t’es absenté longtemps. Tu t’es longtemps diverti à l’étranger avec d’autres oiseaux.

Il y avait aussi sur la table une oie, tranquille et bonne créature. Peut-être qu’elle m’a aimé autrefois, quand nous étions jeunes tous les deux.

Elle me regardait d’une façon si sentimentale, si intime, si dévouée, si mélancolique ! À coup sûr, elle possédait une belle âme ; mais la chair était bien coriace.

On servit aussi, sur un plat d’étain, une tête de porc. Chez nous, en Allemagne, on garnit toujours de feuilles de laurier le front des cochons.


10

Au sortir de Hagen, il faisait nuit, et je sentais le froid me pénétrer jusqu’à la moelle des os. Je ne pus me réchauffer qu’à Unna, dans une auberge.

Je trouvai là une jolie fille, qui me versa le punch d’un air amical. Ses cheveux bouclés étaient comme de la soie dorée, ses yeux doux comme les rayons de la lune.

Je retrouvai avec bonheur l’accent westphalien qui grasseye. Le punch rallumait mille doux souvenirs. Je pensai à ces bons frères de Westphalie.