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Voilà ce que je dis aux trois rois Mages, et je leur tournai le dos. Alors je vis étinceler terriblement le fer terrible de mon sombre compagnon, et il comprit le signe que je lui fis.

Il s’approcha, et, de sa hache, il frappa les misérables squelettes de la superstition et les fracassa sans pitié.

L’écho de toutes les voûtes gémit lamentablement ; des torrents de sang jaillirent de ma poitrine, et je me réveillai soudain.


8

De Cologne à Hagen la poste coûte 5 thalers et 6 gros prussiens. La diligence était malheureusement retenue, et je fus obligé de prendre le coupé de supplément.

Il faisait une de ces matinées humides et nébuleuses de la fin de l’automne ; la voiture pataugeait dans la boue. Cependant en dépit du mauvais temps et du chemin, je me sentais inondé d’un sentiment de bien-être délicieux.

N’était-ce pas l’air de ma patrie qui frappait ma joue brûlante ! et cette boue de grand chemin, n’était-ce pas la crotte de ma patrie ?

Les chevaux remuaient la queue affectueusement comme de vieilles connaissances, et ce qu’ils laissaient tomber derrière eux me paraissait beau et odoriférant comme les pommes d’Attalante. La patrie sent toujours bon.

Nous traversâmes Muhlheim ; la ville est jolie, les hommes calmes et laborieux. La dernière fois que j’y vins, c’était au mois de mai 1831.

Alors tout était en fleurs, le soleil souriait ; les oiseaux chantaient avec amour, et les hommes espéraient et pensaient.

Ils pensaient : « Notre maigre noblesse prussienne va bientôt partir, et nous leur verserons le coup de l’étrier avec de longues bouteilles de fer.

« Et la liberté va venir avec les jeux et les danses et le drapeau tricolore. Peut-être réveillera-t-elle, dans la tombe, Napoléon. »