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À droite planera sire Balthazar, à gauche sire Melchior, au milieu sire Gaspard le More. Dieu sait quel ménage ils ont fait tous les trois, quand ils étaient en vie !

Cette sainte alliance de l’Orient, qui est maintenant canonisée, peut-être n’a-t-elle pas toujours fait preuve d’une conduite très canonique.

Le Balthazar et le Melchior étaient peut-être deux gaillards qui, à l’heure de la détresse, avaient promis une constitution libérale à leur peuple.

Et plus tard ils s’étaient bien gardés de tenir parole.

— Peut-être que messire Gaspard, le roi nègre, avait payé d’une noire ingratitude le dévouement de ceux qui lui ont reconquis son empire.


5

Et lorsque j’arrivai au pont du Rhin, tout près de la ligne du port, je vis couler, à la lueur de la lune, le grand fleuve.

Salut, vénérable Rhin ! Comment as-tu vécu depuis ? J’ai pensé plus d’une fois à toi avec désir et avec regret.

C’est ainsi que je parlai, et j’entendis dans les profondeurs du fleuve des sons étranges et gémissants : c’était comme la toux sèche d’un vieillard, comme une voix à la fois grognarde et plaintive.

« Sois le bien venu, mon enfant ! Cela me fait plaisir que tu ne m’aies pas oublié ! Voilà treize ans que je ne t’ai pas vu. Pour moi, depuis ce temps, j’ai eu bien des désagréments.

« À Biberich, j’ai avalé des pierres ; vraiment ce n’est pas trop friand. Mais pourtant les vers de Nicolas Becker me pèsent encore plus sur l’estomac.

« Il m’a chanté comme si j’étais encore une vierge pure, qui ne s’est pas laissé dérober la couronne virginale.

« Quand j’entends cette sotte chanson, je m’arracherais bien ma barbe blanche et, vraiment, je serais tenté de me noyer dans mes propres flots.