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Je ne vous ai jamais aimées, vieilles divinités classiques ! Pourtant une sainte pitié et une ardente compassion s’emparent de mon cœur, lorsque je vous vois là-haut, dieux abandonnés, ombres mortes et errantes, images nébuleuses que le vent disperse, effrayées, et, quand je songe combien lâches et hypocrites sont les dieux qui vous ont vaincus, les nouveaux et tristes dieux qui règnent maintenant au ciel, renards avides sous la peau de l’humble agneau… oh ! alors une sombre colère me saisit, et je voudrais briser les nouveaux temples et combattre pour vous, antiques divinités, pour vous et votre bon droit parfumé d’ambroisie ; et devant vos autels relevés et chargés d’offrandes, je voudrais adorer, et prier, et lever des bras suppliants…

Il est vrai qu’autrefois, vieux dieux, vous avez toujours, dans les batailles des hommes, pris le parti des vainqueurs ; mais l’homme a l’âme plus généreuse que vous, et, dans les combats des dieux, moi, je prends le parti des dieux vaincus.

Et ainsi je parlais, et dans le ciel ces pâles simulacres de vapeurs rougirent sensiblement et me regardèrent d’un air agonisant, comme transfigurés par la douleur, et s’évanouirent soudain. La lune venait de se cacher derrière les nuées, qui s’épaississaient de plus en plus ; la mer éleva sa voix sonore, et, de la tente céleste, sortirent victorieusement les étoiles éternelles.


7


QUESTIONS


Au bord de la mer, au bord de la mer déserte et nocturne, se tient un jeune homme, la poitrine pleine de doute, et d’un air morne il dit aux flots :

« Oh ! expliquez-moi l’énigme de la vie, la douloureuse et vieille énigme qui a tourmenté tant de têtes : têtes coiffées de mitres hiéroglyphiques, têtes en turbans et en bonnets carrés, têtes à perruques, et mille autres pauvres et bouillantes têtes humaines. Dites-moi ce que signifie l’homme ? d’où il vient ? ou il va ? qui habite là-haut au-dessus des étoiles dorées ? »