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Car le capitaine se tient devant lui, tempête et jure et le traite de voleur : « Coquin ! tu m’as volé un hareng dans le tonneau ! »

La mer est calme. Un petit poisson monte à la surface de l’onde, chauffe sa petite tête au soleil et remue joyeusement l’eau avec sa petite queue.

Cependant, du haut des airs, la mouette fond sur le petit poisson, et, sa proie frétillante dans son bec, s’élève et plane dans l’azur du ciel.


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AU FOND DE LA MER


J’étais couché sur le bordage du vaisseau je regardais, les yeux rêveurs, dans le clair miroir de l’eau, et je plongeais mes regards de plus en plus avant, lorsqu’au fond de la mer j’aperçus, d’abord comme une brume crépusculaire, puis peu à peu, avec des couleurs plus distinctes, des coupoles et des tours, et enfin, éclairée par le soleil, toute une antique ville néerlandaise pleine de vie et de mouvement. Des hommes âgés, enveloppés de manteaux noirs avec des fraises blanches et des chaînes d’honneur, de longues épées et de longues figures, se promènent sur la place, près de l’hôtel de ville orné de dentelures et d’empereurs de pierre naïvement sculptés, avec leurs sceptres et leurs longues épées. Non loin de là, devant une file de maisons aux vitres brillantes, sous des tilleuls taillés en pyramides, se promènent, avec des frôlements soyeux, de jeunes femmes, de sveltes beautés dont les visages de rose sortent décemment de leurs coiffes noires et dont les cheveux blonds ruissellent en boucles d’or. Une foule de beaux cavaliers costumés à l’espagnole se pavanent près d’elles et lancent des œillades. Des matrones vêtues de mantelets bruns, un livre d’heures et un rosaire dans les mains, se dirigent à pas menus vers le grand dôme, attirées par le son des cloches et le ronflement de l’orgue.

À ces sons lointains, un secret frisson s’empare de moi. De vagues désirs, une profonde tristesse, envahissent mon cœur, mon cœur à peine guéri. Il me semble que mes blessures,