Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est l’heure juste maintenant, nous sommes aussi sur la vraie place ; tu t’étonnerais, ma chère enfant, si, moi, je prononçais la parole juste

Et je dis cette parole… Vois-tu, tout devient jour, tout s’agite ; les sources et les sapins deviennent plus bruyants, et la vieille montagne s’éveille.

Le son des mandolines et les chants des nains retentissent dans les crevasses de la montagne, et, comme un insensé printemps, sort de la terre une forêt de fleurs.

Des fleurs, d’audacieuses fleurs, aux feuilles larges et fabuleuses, odorantes, diaprées et vivement agitées comme par la passion.

Des roses, ardentes comme de rouges flammes, jaillissent du milieu de cette végétation ; des lis, semblables à des piliers de cristal, s’élancent jusqu’au ciel.

Et les étoiles, grandes comme des soleils, jettent en bas des rayons de désir ; dans le calice gigantesque des lis coulent en torrent les flots de ces lumières.

Et nous-mêmes, ma chère enfant, sommes métamorphosés bien plus encore : l’éclat des flambeaux, l’or et la soie resplendissent gaiement autour de nous.

Toi, tu es devenue une princesse, et cette cabane est devenue un château ; et ici se réjouissent et dansent preux chevaliers, dames et écuyers.

Mais, moi, j’ai acquis toi et tout cela, château et gens ; les timbales et les trompettes célèbrent ma jeune magnificence.



LE JEUNE BERGER

Il est roi, le jeune berger ; la verte colline est son trône : le soleil sur sa tête est sa couronne pesante, sa couronne d’or.

À ses pieds sautillent les moutons, doux flatteurs, marqués de croix rouges. Les veaux sont ses chambellans, et se pavanent avec orgueil.