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De ses lèvres suaves, la dame, affectueuse et attentive, dépose un doux baiser sur les boucles brunes d’Almansor, et un nuage assombrit le front du chevalier endormi.

La dame, affectueuse et attentive, pleure et un flot de larmes tombe de ses yeux brillants sur les boucles brunes d’Almansor, — les lèvres du chevalier frémissent.

Et il rêve : il rêve qu’il se trouve encore dans le dôme de Cordoue. — Il tient encore sa tête courbée sur les fonts baptismaux. — L’eau lustrale ruisselle de sa chevelure, — et il entend beaucoup de voix confuses.

Il entend murmurer toutes les colonnes gigantesques ; elles ne veulent plus porter leur fardeau, et tremblent de colère et chancellent.

Et elles se brisent violemment, le peuple et les prêtres blêmissent, la coupole s’écroule avec fracas, et les dieux chrétiens se lamentent sous les décombres.



LE PÈLERINAGE À KEVLAAR[1]


1

À la fenêtre se tient la mère ; le fils est couché dans le lit. — « Ne veux-tu pas te lever, Wilhelm, pour voir la procession ?

  1. Note de la 1re édition : « Le sujet de ce poème n’est pas entièrement de mon invention. C’est un de mes souvenirs du pays rhénan. Quand j’étais petit garçon et qu’au couvent des Franciscains de Düsseldorf, j’apprenais à lire et à rester assis en silence, j’avais pour voisin un autre enfant qui me racontait toujours que sa mère, l’ayant mené à Kevlaar [province de Düsseldorf] à cause de son pied malade, y avait offert à la Vierge un pied en cire et que le pied malade avait été guéri. Plus tard, je le retrouvai au gymnase dans la classe de philosophie du recteur Schallmeyer et, comme nous étions assis côte à côte, il me rappela ce miracle en riant, et sérieusement il ajouta que c’était à présent un cœur en cire qu’il devrait offrir à la mère de Dieu. J’appris qu’il avait eu un amour malheureux, et finalement je le perdis de vue et l’oubliai. — En 1819, étant étudiant à Bonn, je me promenais un jour aux environs de Godesberg, quand j’entendis dans le lointain le cantique de Kevlaar avec son refrain monotone : « Gloire à toi, Marie. » La procession passa, et, parmi les pèlerins, j’aperçus mon ancien camarade au bras de sa vielle mère. Il était pâle et souffrant. » Cette note de Heine est datée de Berlin, 16 mai 1822. (Note des éditeurs).