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Et colonnes, coupoles et murailles sont couvertes, depuis le haut jusqu’en bas, de sentences du Coran, arabesques charmantes, artistement enlacées.

Les rois mores jadis bâtirent cet édifice à la gloire d’Allah ; mais les temps ont changé, et avec les temps l’aspect des choses.

Sur la tour, où le muezzin appelait à la prière, bourdonne maintenant le glas mélancolique des cloches chrétiennes.

Sur les degrés où les croyants chantaient la parole du prophète, les moines tonsurés célèbrent maintenant leurs lugubres facéties.

Et ce sont des génuflexions et des contorsions devant des poupées de bois peint, et tout cela beugle et mugit, et de sottes bougies jettent leurs lueurs sur des nuages d’encens.

Dans le dôme de Cordoue se tient debout Almansor-Ben-Abdullah, qui regarde tranquillement les colonnes, et murmure ces mots :

« Ô vous, colonnes fortes et puissantes, autrefois vous embellissiez la maison d’Allah, maintenant vous rendez servilement hommage à l’odieux culte du Christ.

« Vous vous accommodez aux temps, et vous portez patiemment votre fardeau. — Hélas ! et moi qui suis d’une matière plus faible, ne dois-je pas encore plus patiemment accepter ma charge ? »

Et, le visage serein, Almansor-Ben-Abdullah courba sa tête sur le splendide baptistère du dôme de Cordoue.


2

Il sort vivement du dôme, et s’élance sur son coursier arabe qui part au galop ; les boucles de ses cheveux, encore trempées d’eau bénite, et les plumes de son chapeau flottent au vent.

Sur la route d’Alcoléa où coule le Guadalquivir, où fleurissent les amandiers blancs, où les oranges d’or répandent leurs senteurs ;