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Cependant l’ennui me harcèle ; je voudrais être sur la terre, et si je n’étais le bon Dieu, je serais diablement furieux.

« Toi, l’ange Gabriel, prends tes longues jambes à ton cou, et cours me chercher mon ami Eugène.

« Ne le cherche pas à la Faculté ; cherche-le derrière une bouteille de Tokay ; ne le cherche pas à l’église Sainte-Hedwige, cherche-le chez Mam’selle Meyer. »

Alors l’ange ouvre ses deux ailes et prend son vol vers la terre ; il empoigne et me ramène mon ami, mon bon camarade.

« Oui, mon vieux, c’est moi le bon Dieu ; c’est moi qui gouverne la terre ! Je t’avais toujours dit que j’arriverais à quelque chose !

« Chaque jour je fais des miracles qui ne peuvent que t’enchanter ! Aujourd’hui, pour t’amuser, je vais faire le bonheur de Berlin !

« Les pavés des chaussées vont s’ouvrir et chaque pavé contiendra une huître fraîche et pure.

« Les rues vont être arrosées par une pluie de citronnade et le meilleur des vins du Rhin coulera dans les ruisseaux. »

Quelle joie pour les Berlinois ! Ils s’empressent vers la ripaille ; ces messieurs de la Cour d’appel boivent à même les ruisseaux.

Quelle aubaine pour les poètes qu’un aussi divin gueuleton ! Les lieutenants et les enseignes en lèchent le pavé des rues.

Les lieutenants et les enseignes sont les plus sages des hommes ; ils savent qu’un miracle pareil ne se renouvelle pas tous les jours.


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On était en juillet quand je vous ai quittée et je vous retrouve en janvier. Vous étiez alors pleine d’ardeur ; je vous retrouve fraîche et même froide.