Page:Hegel - La Poétique, t. 1, trad. Bénard, 1855.djvu/83

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
5
différence de la poésie et de la prose.

décrire les phénomènes particuliers ? Il s’agit donc, malgré cette similitude possible du fond, de marquer les différences générales qui distinguent la pensée poétique et la pensée prosaïque.

1° La poésie est plus ancienne que le langage prosaïque artistiquement façonné. Elle est la première forme sous laquelle l’esprit saisit le vrai, un mode de connaître dans lequel il ne sépare pas encore le côté général des choses de leur existence individuelle et vivante, où il n’oppose pas encore, comme distincts, la loi et le phénomène, le but et le moyen, pour les rattacher ensuite l’un à l’autre par le raisonnement, mais saisit l’un dans l’autre et l’un par l’autre. Aussi ne se contente-t-elle pas d’exprimer figurément une pensée déjà conçue en soi dans sa généralité. Au contraire, conformément à son essence immédiate, elle s’arrête dans l’unité substantielle au sein de laquelle n’a pas encore été faite une telle séparation ou établi un tel rapport.

Dans cette manière de concevoir les choses, la poésie se les représente donc comme formant un tout complet en soi et par là indépendant. Cet ensemble, à la vérité, peut offrir une grande richesse de détails, un vaste développement de rapports, d’individus, d’actions, d’événements, de sentiments et d’idées. Toutefois, dans sa complexité, il doit paraître un tout complet en lui-même, développé et mû par le principe d’unité qui se manifeste extérieurement dans chaque partie. Ainsi, le général, le rationnel dans la poésie, n’apparaissent pas sous leur forme abstraite, dans leur enchaînement philoso-