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différente s’adressent séparément à des billions de souvenirs antérieurs à notre naissance. Il y a des sonorités qui évoquent les spectres de la jeunesse, de la joie et de la tendresse, il y a des sonorités qui appellent toute la douleur fantôme de la passion passée ; il y a des sonorités qui ressuscitent toutes les sensations mortes de la majesté, de la puissance et de la gloire, toutes les exaltations épuisées, tous les héroïsmes oubliés. L’influence de la musique peut, en effet, paraître étrange à celui qui s’imagine que sa vie n’a commencé que depuis un siècle. Mais le mystère s’éclaire pour celui qui sait que la substance du Moi est plus ancienne que le soleil. Pour celui-là, la musique est une nécromancie : il sent qu’à chaque frémissement de mélodie, qu’à chaque onde d’harmonie, un tourbillon incommensurable d’ancienne douleur et d’ancien plaisir répond en lui par delà la mer de la Mort et de la Vie.

Plaisir et douleur : ils se confondent toujours dans la grande musique. C’est pourquoi la musique nous émeut plus profondément