Page:Hawthorne - Le Livre des merveilles, seconde partie, trad. Rabillon, 1882.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit à Proserpine de regarder le fleuve qui coulait lentement sous les arches. Une eau tranquille, noire et boueuse, la frappa de stupeur. La surface ne réfléchissait l’image d’aucune partie du rivage. Cette masse liquide était si pesante et si lente, dans son écoulement qu’on eût pensé que, indécise dans sa direction, elle appartenait plutôt à un marécage qu’à un cours d’eau.

« C’est le fleuve Léthé, dit le monarque mystérieux. N’offre-t-il pas un coup d’œil ravissant ?

— Sa vue seule me glace d’effroi, répondit la jeune fille.

— Eh bien ! quant à moi, elle est tout à fait de mon goût, reprit Pluton, qui était assez enclin à prendre de l’humeur quand il remontrait une opinion opposée à la sienne. Fiez-vous à mon expérience. l’eau est d’une qualité excellente ; car si on en boit une seule gorgée, ou oublie les soucis et les chagrins qu’on a éprouvés jusqu’alors. Goûtez-en un peu, ma chère, vous cesserez à l’instant de vous désoler pour votre mère, et vous aurez perdu le souvenir de ce qui peut vous empêcher de jouir chez moi d’un bonheur parfait. J’en enverrai chercher dans une coupe d’or, aussitôt après notre arrivée.

— Oh ! non, non, non ! s’écria la fille de Cérès. Plutôt mille fois être misérable avec le souvenir de ma mère, que d’éprouver du bonheur en l’oubliant !