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leur bâton de voyage, il leur adressa la parole en ces termes :

« Ma chère mère, toi, mon bon frère, et toi, mon ami Thasus, il me semble que nous sommes comme des gens poursuivis par un rêve. Notre vie n’a plus de but réel. Il y a si longtemps que le taureau blanc a emporté ma sœur Europe, que j’ai oublié ses traits et le son de sa voix. Bien plus, j’en suis arrivé à douter même si elle exista jamais. Qu’elle ait vécu ou non, je suis convaincu qu’elle ne vit plus aujourd’hui. Notre persévérance à la chercher est, à mes yeux, une folie et un sacrifice inutile. Quand nous la trouverions aujourd’hui, ce serait déjà une femme, et elle nous regarderait comme des étrangers. Aussi, pour vous parler franchement, je suis décidé à m’arrêter ici, et à y fixer ma demeure. Je vous en supplie, ma mère, mon frère et mon ami, suivez mon exemple.

— Quant à moi, jamais, dit Téléphassa ; et malgré cette résolution si ferme, la pauvre reine était si épuisée de fatigue, qu’à peine elle était capable de mettre un pied devant l’autre. Au fond de mon cœur, Europe est toujours la charmante enfant au teint de rose qui courait çà et là, cueillant des fleurs, il y a déjà bien des années. C’est toujours pour moi une petite fille. Elle ne m’a pas oubliée. Le jour, la nuit, pendant la marche, pendant le repos, j’entends toujours sa voix enfantine m’appeler :