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CONTES ÉTRANGES

sant ces vers j’avais espéré que vous pourriez la remplir.

— Vous espériez, dit le poëte avec un faible sourire, vous espériez que je ressemblerais à la Grande Figure de pierre, et vous êtes désabusé comme vous l’avez été autrefois avec M. Amas-d’Or, le vieux Sang-et-Tonnerre et Tête-de-Rocher. Il devait en être ainsi, Ernest, vous devez ajouter mon nom à ceux de ces illustres personnages et vous résigner à cette nouvelle déception, car, croyez-en ma tristesse, je ne suis pas digne, ami, d’avoir pour type cette image si grandiose et si douce.

— Et pourquoi ? demanda le vieillard en montrant le livre, ne sont-ce point là de divines pensées ?

— Il est possible, dit le poëte, qu’elles aient ce caractère, et qu’on puisse entendre en elles comme un lointain écho des chœurs célestes ; mais ma vie n’a pas répondu à l’excellence de mes pensées. J’ai fait de beaux rêves, mais je n’ai pas su les réaliser, parce que je n’ai pas conformé mes actes à mes idées. Quelquefois même, oserai-je vous l’avouer, j’ai manqué de foi dans ces principes éternels dont je me suis fait dans mes œuvres le plus fervent apôtre. C’est donc à tort, chercheur infatigable du bon et du vrai, que tu voulais trouver en moi l’image de la figure.

Et les yeux du poëte se remplirent de larmes, et ceux d’Ernest étaient également obscurcis par des pleurs.

Le soleil touchait au terme de sa course ; c’était l’heure où, depuis de longues années, Ernest avait coutume de parler à ses voisins assemblés chaque jour pour l’écouter. Il prit le bras du poëte et tous deux se dirigèrent vers l’endroit habituel de ces conférences. C’était un petit vallon forme par la rencontre de plusieurs collines et terminé par