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LA GRANDE FIGURE DE PIERRE

profond du grand homme d’État, il avait été remplacé par une expression de satiété suprême, telle qu’on la peut lire sur le visage d’un enfant trop grand pour ses jouets, ou sur celui d’un homme riche des dons les plus rares de l’intelligence, mais dont la vie s’écoule vide et inutile parce qu’il n’a pas appliqué ses puissantes facultés à un but noble et élevé.

Cependant le voisin d’Ernest, le poussant du coude comme pour l’interroger :

— N’est-ce pas, lui dit-il, que c’est bien tout le portrait de l’homme de la montagne ?

— Non, répondit brusquement Ernest, je ne vois aucune ressemblance.

— Alors tant pis pour la Grande Figure, reprit le voisin, qui se mit à vociférer de plus belle.

Ernest se détourna tristement, et presque avec désespoir, car de toutes ses déceptions celle-ci était la plus cruelle.

Il avait devant les yeux un homme qui aurait pu accomplir la prophétie et qui ne l’avait pas voulu !

En même temps la cavalcade, le cortège, la musique et les bannières disparurent dans un tourbillon de poussière ; et le nuage, se dissipant lentement, laissa voir la Grande Figure de pierre qui, souriant à Ernest, semblait lui dire :

— Allons, courage, j’attends depuis plus longtemps que toi, et cependant ma confiance est la même ; espère donc, l’homme viendra !

Le temps, cependant, précipitait sa course, et les années, s’accumulant sur sa tête, blanchirent sa noire chevelure et tracèrent des rides vénérables sur son front. C’était maintenant un vieillard dont les sages pensées surpassaient en