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CONTES ÉTRANGES

point, on ne pouvait voir deux visages plus exactement pareils. Les fanfares d’une musique triomphale envoyaient en l’air des torrents d’harmonie que répercutaient les échos de la vallée, comme si le coin le plus humble de son pays natal eût trouvé tout à coup une voix pour accueillir cet hôte illustre. Mais l’effet produit par ce phénomène acoustique devenait réellement magique lorsque le son était renvoyé par les abîmes que dominait la Grande Figure. On eût dit alors que le colosse de pierre mêlait sa puissante voix au chœur triomphal pour saluer l’homme de la prophétie.

Cependant les chapeaux volaient en l’air et l’enthousiasme devint si contagieux qu’Ernest jeta également son chapeau, et sans trop savoir pourquoi, sans même l’avoir vu, se mit à crier aussi fort que les autres : « Hourra pour le grand homme ! hourra pour Tête-de-Rocher ! »

Au milieu du cortège s’avançait, au pas de quatre magnifiques chevaux blancs, une voiture dans laquelle siégeait, tête nue, le fameux homme d’État.

— Avouez, dit à Ernest un de ses voisins, que la Grande Figure et Tête-de-Rocher se ressemblent comme deux jumeaux.

En effet, au premier aspect de cette physionomie souriante, saluant chacun du haut de la voiture, Ernest ne put s’empêcher de lui trouver quelque ressemblance avec la figure dont les traits lui étaient si familiers. C’était bien ce front élevé, proéminent, ces lignes sculpturales dont un Titan semblait avoir fourni le modèle ; mais il eût vainement cherché la majesté sublime, la divine sympathie qui transformaient ces traits de granit en un être intelligent. Le feu sacré du génie manquait, ou s’était éteint dans l’œil