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CONTES ÉTRANGES

que jamais lèvres humaines n’avaient prononcées avant lui.

Cependant, la première effervescence passée, le peuple s’aperçut qu’il avait été un peu prompt à trouver une ressemblance entre le visage farouche du vieux Sang-et-Tonnerre et la Grande Figure. Cela n’empêcha pas qu’au bout de quelque temps les journaux ne commençassent à répéter les uns après les autres que la tête tant désirée se trouvait sur les épaules d’un certain homme d’État, non moins illustre que M. Amas-d’Or et le général Sang-et-Tonnerre. C’était également un fils de la vallée, mais il l’avait quittée très jeune pour s’adonner à la jurisprudence et à la politique. Il n’avait ni la fortune d’un archimillionnaire, ni l’épée d’un vaillant guerrier, mais il possédait une éloquence plus puissante à elle seule que toutes deux ensemble. Quand il parlait, il n’y avait pas à balancer, il fallait le croire : les droits semblaient des torts et les torts semblaient des droits, selon ce qu’il lui plaisait de persuader ; et il possédait à un si haut point l’art d’éblouir, qu’il eût pu à son gré faire voir des étoiles en plein midi. Sa voix était vraiment son instrument magique, tantôt résonnant comme un tambour, tantôt mélodieuse comme une harpe éolienne. Il chantait à volonté les fastes de Bellone ou l’hymne de la paix.

En vérité, c’était un homme merveilleux ; et, lorsque cette rare éloquence lui eut acquis tout le succès imaginable, lorsqu’il se fut fait entendre dans toutes les cours de l’Europe, après que son nom eut été prononcé d’un bout à l’autre du monde avec une égale admiration, il finit par persuader à ses compatriotes de le nommer président de la république.