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CONTES ÉTRANGES

voiture et tendirent instinctivement leurs mains amaigries, balbutiant quelque humble prière. Une griffe jaunâtre, celle-là même qui avait agrippé tant de richesses, sortit de la fenêtre du carrosse et laissa négligemment tomber à terre quelques pièces de cuivre.

— C’est Éparpilleur de cuivre qu’il fallait vous appeler, fastueux Amas-d’Or !

Et cependant la foule transportée criait d’aussi bonne foi qu’auparavant :

— Voici l’image de notre Grande Figure de pierre.

Mais Ernest détourna tristement ses regards de ce visage sordide, et ses yeux se portèrent lentement vers la vallée, où parmi les brumes dorées par le soleil il pouvait encore distinguer l’admirable profil, dont l’aspect seul le consola.

Que lui disait cette bouche au bienveillant sourire ?

— Espère, enfant, garde ta foi ; l’homme viendra.

Les années s’écoulèrent, Ernest entra dans l’adolescence. Le jeune homme n’attirait guère l’attention des habitants de la vallée, car sa vie régulière et simple n’avait rien de remarquable, si ce n’est peut-être que, son travail terminé, il avait conservé l’habitude d’aller chaque jour contempler la Grande Figure. C’était, pour la plupart, une innocente manie qu’on lui pardonnait d’autant plus volontiers qu’il était industrieux, serviable, d’un caractère toujours égal, et qu’en somme il ne se livrait à cette paresseuse contemplation qu’après s’être acquitté de tous ses devoirs. Ils ne savaient pas, ceux qui pensaient ainsi, que la Grande Figure était devenue pour lui le meilleur des maîtres, et que les sentiments qu’elle exprimait, après avoir élargi son cœur, l’avaient rempli d’une bienveillante sympathie pour les